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Vincent van Gogh
La silla de Vincent con pipa
Arles, diciembre 1888
Londres, National Gallery |
Triunfo Arciniégas
LA CHAISE QUI PERDIT UN PIED
Traduction :
Marie-France Eslin
Cette chaise était différente parce qu’il lui manquait un pied. Au début il y avait six chaises, belles, brillantes, autour d’une table. Six belles chaises qui se racontaient des histoires.
L’une d’elles raconta la cruelle histoire du nain qui, une nuit, raccourcit les pieds de sa chaise parce qu’il n’arrivait pas à s’asseoir. « Il aurait dû acheter un escabeau », répliquèrent les autres, alarmées, mortes de peur. Mais le nain aurait eu les pieds en l’air et cela ne lui plaisait guère. Une nuit donc il raccourcit le premier pied le cinq centimètres, puis ensuite les trois autres, mais le nain était vraiment très petit et il ne put monter dessus. Il souffla avec rage la sciure. Le jour suivant il raccourcit de dix centimètres chaque pied mais cela ne suffit pas non plus. Puis un autre jour encore dix centimètres et la chaise n’en pouvait plus de douleur. « Il aurait dû s’acheter une boîte d’allumettes pour s’asseoir », dirent les autres, scandalisées, et elles détestèrent à jamais les nains. « Il s’est acheté des échasses — dit la chaise qui racontait l’histoire — et il s’en fut parcourir le monde pour oublier ses malheurs. » Horrible, ce nain, qui de plus s’habillait en vert et mettait des chaussures rouges, quel assemblage horrible !
Alors, la chaise, infatigable, leur parla du pays des géants qui dévoraient des oiseaux. Ils n’avaient pas de chaises parce qu’ils s’asseyaient sur d’énormes pierres au bord des fleuves où ils plongeaient leurs pieds pour les soulager de la poussière et la chaleur ; ils ne souffraient jamais de la faim car il y avait des oiseaux en abondance et il leur suffisait de tendre la main pour en attraper une douzaine. Ils n’en faisaient qu’une bouchée en recrachant d’un souffle les plumes et buvaient toute l’eau du fleuve. Ils mangeaient et buvaient en abondance, comme des géants. La chaise bavarde leur demanda si elles voulaient entendre l’histoire de la baleine qui faisait des petits ballons chaque fois qu’elle soupirait et toutes s’écrièrent que non ; ou mieux encore, l’histoire de l’âne qui crachait des pièces d’or, de jolies pièces, et volait aussi dans les airs, et les malheureuses chaises se récrièrent à nouveau presque en la suppliant.
Puis elles parlèrent du menuisier qui les avait fabriquées à la perfection.
Et c’est ainsi que détestant nains et géants, elles passaient leur vie.
Elles ne furent pas toujours belles et éclatantes ; à l’usage elles s’écaillèrent, s’abîmèrent et commencèrent à branler. Alors qu’on les manipulait avec hâte et qu’on les empilait, l’une d’entre elles se cassa un pied. Comme il ne vint à l’idée de personne de l’envoyer chez le menuisier, on la mit dans un coin et on l’oublia.
La pauvre, boiteuse et honteuse, n’arriva jamais à se traîner jusqu’au banquet perpétuel de la table.
Sur son squelette les araignées s’empressèrent de tisser leurs toiles compliquées et au milieu des toiles une mouche s’empressa d’agoniser. Ce fut une fin terrible.
Les cinq chaises qui restaient continuèrent leur vie de toujours, elles parlaient et parlaient de tout et de rien : du rayon de soleil qui les enveloppait le matin, du chiffon rouge de la femme qui les époussetait, du chat. Elles avaient complètement oublié la chaise boiteuse. Elles se croyaient belles encore et la beauté les rendait orgueilleuses, aveugles. Personne ne parlait de grincements, d’égratignures ni de pieds cassés.
Un jour une voisine vint pour qu’on lui prêtât une chaise parce qu’elle avait un visiteur qui était debout. Le visiteur dut rester toujours car la voisine ne rendit jamais la chaise. Comme la chaise tardait à revenir, les quatre autres, selon la coutume, l’oublièrent. Comme si depuis toujours elles n’avaient été que quatre.
Elles parlaient des très belles sandales de la demoiselle qui venait prendre le café à quatre heures avec la dame, des jambes potelées qu’elle étirait et repliait, de sa robe rouge, de leur conversation. Le monde devenait fascinant, la dame et la demoiselle donnaient envie de se précipiter dans la rue, au jardin public, au théâtre, partout. Elles paraissaient si heureuses, elles riaient de tout, et de ce fait les chaises aussi.
Une nuit, un voleur pénétra dans la maison par une fenêtre restée ouverte, et ne trouvant rien de plus précieux sous la main, il emporta une chaise. « Je m’assiérai pour regarder le soir tomber », se dit-il en se faisant une raison. Naturellement cette chaise ne revint pas non plus.
Les trois chaises parlaient, parlaient, parlaient. La vie était belle.
Trois chaises autour d’une table. Pour les trois personnes de la maison ; l’homme, la femme el l’enfant.
Le petit préférait la chaise éclaboussée de peinture par la femme quand elle avait décoré les pots de fleur. Il grimpait dessus avec difficulté et la chaise craignait, sans le dire à personne, que ne se reproduisît l’histoire du nain.
Jusqu’au jour où arriva ce que les chaises n’avaient pas imaginé : celle qui branlait le plus se démantibula : la femme avait grossi. L’enfant de la maison voulut faire un petit chariot avec ses débris éparpillés. Il essaya toute la matinée et pour finir il n’y eut ni petit chariot ni chaise.
Alors se présenta un problème : à chaque repas l’un des trois restait debout. L’homme faisait asseoir la femme sur ses genoux. Mais la femme était vraiment grosse, l’homme suffoquait et la chaise grinçait, ils eurent peur de perdre encore une chaise. L’homme alors montait l’enfant sur ses genoux et la femme utilisait l’autre chaise. Mais l’enfant remuant et espiègle renversait presque toujours sa soupe sur le pantalon de l’homme. C’était le drame : l’homme devenait furieux et criait comme un fou et la femme courait lui chercher un pantalon propre tandis que l’enfant sanglotait dans un coin. Cela ne pouvait durer. L’homme acheta une chaise verte ; il s’en fut au marché et revint avec la chaise sur la tête. C’était une chaise très moderne, en plastique, avec des vis, des pieds en métal bien écartés, qui ne s’entendit pas avec les autres.
Elles n’étaient plus que deux de cette génération, assez plaintives, assez miteuses, qui regardaient d’un mauvais œil la nouvelle chaise. Deux vieilles chaises en cèdre qui médisaient de rage, vertes d’envie. « Quelle honte, disaient-elles, regardez ces grandes guibolles, cette couleur si vulgaire… » Elles ne furent jamais amies.
L’une des vieilles chaises se sentit mal, très mal. Elle devenait pâle, de plus en plus pâle de jour en jour. Aucun médecin ne vint la soigner. L’autre approchait son oreille et entendait le bruit incessant de son squelette.
Les vers, décréta-t-elle. Les vers sont en train de te manger, ma chère.
La malade crut entendre une voix joyeuse.
Pour qui se prend-elle, cette sotte ? pensa-t-elle, elle se croit éternelle.
La pauvre chaise s’écroula.
L’autre resta seule, parlant toute seule, se racontant souvent l’histoire de l’âne qui volait dans les airs. Elle devint folle dans la solitude. Elle ne supportait pas les chaises vertes, car maintenant elles étaient deux et elles parlaient, elles parlaient, heureuses et très bruyantes.
Sa seule consolation était le chat, qui la préférait pour se chauffer au soleil. On la traînait dans le patio le matin pour que le chat paresseux puisse profiter du soleil, mais parfois on l’oubliait, au soleil et à la pluie, au vent, des nuits durant où la lune la terrifiait. Son squelette lui faisait mal et plus encore les éclats de rire humiliants des autres.
Et ainsi jusqu’à son dernier jour.
« Elle ne sert plus, dit l’homme, elle ne sert plus à rien. On va la donner à un mendiant. »
Il en fut ainsi. Un mendiant passa et l’emporta en la tirant, laissant des traînées dans la poussière : la chaise put voir l’homme qui entrait dans la maison avec une autre chaise verte sur la tête.
A la tombée du jour, avec les débris de la vieille chaise, le mendiant heureux fit une flambée qui le chauffa toute la nuit.
Olver Gilberto de León
Jorge Eliécer Pardo
Colombie: à choert ouvert
París, Editions François Majault, 1991.
LA SILLA QUE PERDIÓ UNA PATA
Esta silla era distinta porque le faltaba una pata.
Al principio eran seis sillas hermosas, brillantes, alrededor de una mesa. Seis hermosas sillas que se contaban historias.
Una de ellas contó la cruel historia del enano que una noche recortó las patas de su silla porque no alcanzaba a sentarse. "Debió comprarse una escalera", replicaron las otras, alarmadas muertas de horror. Pero al enano le quedaban lo pies en el aire y eso no le gustaba. En una noche le recortó cinco centímetros a la primera pata, luego otros cinco a las tres restantes, pero el enano era muy enano y no alcanzó. Sopló con rabia el aserrín. Al día siguiente recortó diez centímetros a cada pata y tampoco alcanzó. Y otros diez centímetros al otro día y la silla ya no soportaba tanto dolor. "Para sentarse debió comprar una cajita de fósforos", dijeron las otras, escandalizadas, y detestaron para siempre a los enanos. "Se compró unos zancos -dijo la silla del cuento- y se fue a recorrer el mundo para olvidar su desgracia." Horrible aquel enano, que además se vestía de verde y usaba zapatos rojos, qué combinación, horrible.
Entonces la silla, que nunca se cansaba, les habló del país de los gigantes que devoraban pájaros. No necesitaban sillas porque se sentaban en inmensas piedras a la orilla de los ríos, donde sumergían los pies desnudos para librarlos del polvo y el calor, ni pasaban hambre porque había pájaros en abundancia y tan solo les bastaba estirar la mano para atrapar una docena. Se los comían de un bocado, escupían las plumas de un soplo y se bebían el río. Comían y bebían en abundancia, como gigantes que eran.
Las sillas detestaron a los gigantes.
La silla parlanchina les preguntó si querían oír el cuento de la ballena que hacía globitos en cada suspiro y todas gritaron que no.
O mejor, el cuento del burro que escupía monedas de oro y además volaba, unas monedas preciosas, y tampoco, otra vez gritaron las sufridas sillas, casi suplicaron.
Hablaron entonces del carpintero que las hizo tan perfectas.
Y así, detestando a enanos y gigantes, pasaban la vida.
No siempre fueron hermosas y brillantes porque con el uso se descascararon y se desgastaron y empezaron a traquear. En un trasteo, con la prisa y el amontonamiento, a una de ellas se le quebró una pata.
Como a nadie se le ocurrió enviarla al carpintero, la arrinconaron y la olvidaron.
La pobre, coja y avergonzada, nunca consiguió arrastrarse hasta el perpetuo banquete de la mesa.
En su esqueleto las arañas pronto tejieron sus complicadas telas y en las telas pronto agonizaba una mosca. Fue un final terrible.
Las cinco sillas restantes siguieron su vida de siempre, hablaban y hablaban, de todo un poco. Del rayo de sol que las envolvía en las mañanas, del trapo rojo con que la mujer les retiraba el polvo, del gato. Se habían olvidado por completo de la silla coja. Aún se creían bellas y la belleza las hacía orgullosas, ciegas. Nadie hablaba de crujidos ni arañazos ni patas quebradas.
Sucedió que la vecina vino a que le prestaran una silla porque tenía una visita de pie. La visita se quedó para siempre porque la vecina jamás regresó la silla.
Como tardaba tanto, y de acuerdo a la costumbre, las cuatro sillas la olvidaron.
Como si siempre hubieran sido cuatro.
Hablaban de las bellísimas zapatillas de la señorita que venía a las cuatro a tomar el café con la señora.
De las redondas piernas que estiraba y encogía. Del vestido rojo. De lo que ellas hablaban. El mundo se volvía tan fascinante, daban ganas de salir corriendo a la esquina, al parque, al teatro, a todas partes. La señora y la señorita se veían tan felices, se reían de todo, y así eran ellas también.
Un ladrón entró una noche a la casa porque la ventana quedó abierta y, al no encontrar nada valioso a la mano, se llevó una silla. "Me sentaré a contemplar el atardecer", se dijo, conformándose. Desde luego que esta silla tampoco regresó.
Las tres sillas hablaban, hablaban, hablaban. La vida era hermosa.
Tres sillas alrededor de una mesa.
Para las tres personas de la casa: el hombre, la mujer y el niño.
El pequeño prefería la silla salpicada de pintura. Se trepaba con dificultad para alcanzar la jaula colgada del techo, y la silla temía sin decírselo a nadie que se repitiera la historia del enano.
Hasta que sucedió lo que las sillas no imaginaban: se desbarató la que más traqueaba: la mujer había engordado. El niño quiso hacer un carro con sus desparramados huesos. Lo intentó toda la mañana y al final no hubo carro ni silla.
Se presentó entonces un problema: de los tres uno se quedaba de pie a cada comida. El hombre sentaba a la mujer en sus piernas. Pero la mujer estaba realmente gorda, el hombre se sofocaba y la silla crujía. Entonces el hombre alzaba en sus piernas al niño y la mujer usaba la otra silla. Pero el niño, tan inquieto, tan travieso, casi siempre derramaba la sopa en el pantalón del hombre. Se armaba la tragedia: el hombre se ponía furioso y gritaba como un loco y la mujer corría a buscarle un pantalón limpio mientras el niño sollozaba en un rincón. Así no podían seguir las cosas. El hombre fue al mercado y regresó con una silla verde a la cabeza. Era de verdad muy moderna, de plástico y tornillos, con patas de metal muy abiertas, que no se entendió con las otras.
Las otras, bastante quejumbrosas, bastante peladas, de otra generación, miraban con malos ojos a la nueva silla. Dos viejas sillas de cedro que chismoseaban a rabiar, verdes de envidia. "Qué vergüenza -se decían-. Mírale esas zancas tan largas, ese color tan escandaloso..." Jamás fueron amigas.
Una de las viejas sillas se sintió mal, muy mal. Se le veía cada mañana más pálida. Ningún doctor vino a atenderla. La otra le acercaba la oreja y le oía el incesante ruido de los huesos.
-El gorgojo -dictaminó-. Te están comiendo los gorgojos, querida.
La enferma creyó oír un tono de regocijo.
Qué se creerá esa tonta, pensó, se creerá eterna.
Se desmoronó la pobre silla.
La otra, salpicada de pintura, se quedó sola, contándose una y otra vez la historia del burro que volaba. Se volvió loca en la soledad. No soportaba las sillas verdes: porque ahora eran dos y hablaban y hablaban, felices las muy escandalosas.
Su único consuelo era el gato, que la prefería para recibir el sol. La arrastraban al patio en las mañanas para que el perezoso gato tomara el sol, pero a veces la olvidaban, al sol y al agua, al sereno, largas noches en que la luna la horrorizaba. Le dolían los huesos y mucho más las humillantes carcajadas de las otras.
Hasta que llegó su último día.
-No sirve -dijo el hombre a la mujer-. Esta silla no sirve para nada. Se la damos al limosnero.
Y así fue. Pasó un limosnero y se la llevó a rastras, dejando un caminito en el polvo: la silla alcanzó a ver al hombre que entraba a la casa con otra silla verde en la cabeza.
Al oscurecer, con los huesos de la vieja silla el limosnero feliz hizo una fogata que lo abrigó toda la noche.
Triunfo Arciniegas
La silla que perdió una pata y otras historias
Bogotá, Panamericana Editorial